Le cycle de Chrétien de Troyes : Erec et Enide (1/5)

Introduction : qui est Chrétien de Troyes ?

Nouvelle chronique cette semaine, les amis. Et cette fois, on va s’attaquer à un gros morceau de la littérature médiévale : les romans de Chrétien de Troyes. Alors certes, je pense que tout le monde a déjà entendu parler du Chevalier de la charrette et du Conte du Graal, mais il se trouve que j’affectionne beaucoup cet auteur, et que j’avais tout de même envie d’en parler. De plus, j’ai la nette impression que ses deux premiers romans, Erec et Enide et Cligès, sont souvent laissés de côté. Il faut dire que tout le monde connaît (au moins de nom) Lancelot, Yvain et Perceval. Mais Erec et Cligès ?

Et pourtant, ces deux romans n’en sont pas moins intéressants, peut-être justement car ils n’ont pas beaucoup marqué l’univers arthurien. Si Erec et Enide a parfois été repris dans des textes en moyen allemand, Cligès, lui, n’a été que très peu mentionné ultérieurement.

Mais revenons-en à Chrétien de Troyes. Que sait-on à propos de lui ? Pas grand-chose, en fait, si ce n’est qu’il serait né autour de 1130, qu’il était probablement clerc et qu’il a écrit pour plusieurs mécènes, dont Marie de Champagne et Philippe d’Alsace. Si on en croit le prologue de Cligès, Chrétien aurait aussi écrit sa propre version du mythe de Tristan et Iseut, Del roi Marc et d’Yseult la blonde (notez que Tristan est curieusement absent du titre), ainsi que plusieurs autres œuvres perdues. Erec et Enide, écrit dans les années 1160, serait son tout premier roman, si on se fie à son prologue dans lequel il se présente brièvement.

Erec et Enide : mais de quoi ça parle ?

Un jour de Pâques, le roi Arthur rassemble sa cour et annonce vouloir restaurer la coutume de la chasse du cerf blanc : quiconque tue un cerf blanc pourra embrasser la plus belle demoiselle ou dame de la cour. Erec, fils du roi Lac, est chargé d’escorter la reine Guenièvre dans les bois, et tous deux découvrent un étrange trio : un chevalier, une demoiselle et un nain. Mais la rencontre se passe mal et le trio prend la fuite. Erec, souhaitant régler ses comptes avec le chevalier, laisse la reine et part à leur poursuite. En chemin, il est hébergé par un vavasseur (seigneur de petite noblesse souvent modeste) complètement ruiné, et y fait la connaissance de sa fille, la belle Enide. Erec en tombe instantanément amoureux et souhaite la prendre pour épouse, ce à quoi le vavasseur consent. Erec poursuit donc sa route avec Enide, et parvient à retrouver le trio des bois, au concours de l’épervier : le chevalier accompagné de la plus belle des demoiselles remporte l’épervier. Erec affronte le chevalier des bois, Yder, et remporte le duel.

Pendant ce temps, à la cour d’Arthur, tout le monde attend le retour d’Erec pour la coutume du baiser. C’est Arthur qui a tué le cerf blanc, mais les chevaliers ne réussissent pas à élire la plus belle femme, car chacun soutient que son amie est la plus belle du royaume. Erec arrive avec Enide, et, dès lors, tout le monde se met d’accord : c’est elle qui doit recevoir le baiser d’Arthur.

Quelques jours plus tard, on célèbre le mariage d’Erec et Enide en grande pompe. Mais après la lune de miel, la cour déchante bien vite : trop épris de sa femme, Erec ne combat plus et ne quitte que rarement le lit conjugal. Les médisances parviennent jusqu’aux oreilles d’Enide, et celle-ci, attristée, se lamente à voix haute sur le déshonneur de son mari. Erec se réveille après le monologue de sa femme, et décide de partir à l’aventure pour laver son honneur. Il ordonne à Enide de l’accompagner, mais à une condition : qu’elle ne parle plus sans sa permission. Enide accepte, la mort dans l’âme, mais rompt sa promesse plusieurs fois lorsque Erec se trouve en danger. Erec et Enide auront besoin de beaucoup d’amour et de confiance pour surmonter les épreuves qui les attendent…

Critique

Pour être honnête, je n’avais pas beaucoup apprécié ce roman lors de ma première lecture. Un problème de taille se posait : je trouvais tout bonnement les protagonistes insupportables. Erec m’avait tout l’air d’un tyran domestique, et Enide, d’une victime qui larmoyait sans cesse. Le roman portait, à mon sens, des valeurs totalement surannées (soumission de la femme à son mari, qui frise parfois la maltraitance). Moi qui avais lu et apprécié d’autres œuvres de Chrétien de Troyes, je ne retrouvais pas du tout sa patte dans ce roman à l’héroïne injustement maltraitée.

Après une seconde lecture et beaucoup de recherches pour mon premier mémoire, je m’étais rendu compte que j’étais totalement passée à côté de l’œuvre. Contrairement à ce que je pensais, le roman est en réalité un plaidoyer en faveur du mariage d’amour. Seulement, tout est dit et montré de manière subtile. L’un des passages les plus probants est peut-être celui-ci : alors qu’Erec se trouve gravement blessé, un comte, qui y voit une occasion en or de s’emparer d’Enide, demande à celle-ci si Erec est son mari ou son ami. Enide répond alors : « L’un et l’autre ». Si ce très bref dialogue semble anodin, il révèle en fait une chose d’une importance capitale : la doxa du XIIe siècle jugeait le mariage incompatible avec l’amour. La question même du comte suppose qu’il était inconcevable pour la société que des époux s’aiment comme des amants. C’est donc un nouveau rapport au mariage et à l’amour que propose Chrétien dans Erec et Enide. Sans rentrer dans les détails, c’est précisément en ce siècle que le consentement mutuel du couple a été rendu indispensable pour la validation du mariage, grâce aux réformes grégoriennes. Cela ne signifiait pas pour autant que tout le monde se mariait par amour, loin s’en faut. Dans la pratique, les mariages restaient des unions d’intérêt, arrangées par les familles.

Erec et Enide, avant d’être un roman de chevalerie, est donc un roman de couple. L’intrigue débute réellement après le mariage : Erec et Enide sont confrontés à une crise dans leur couple, suite aux paroles d’Enide sur la recreantise d’Erec (c’est-à-dire le fait qu’il abandonne les armes). Les deux époux enchaînent alors des péripéties destinées à résoudre cette crise. Alors que le mariage constitue souvent un dénouement heureux dans la fiction, c’est ici l’inverse : le mariage est la première étape d’un parcours semé d’embûches (vision bien plus réaliste de la chose). De ce fait, Erec et Enide doivent chacun s’améliorer pour résoudre la crise : Erec doit reprendre les armes et prouver à nouveau sa valeur, et Enide doit apprendre à utiliser la parole à bon escient. En effet, dans les romans arthuriens, les demoiselles et les dames sont très souvent des personnages adjuvants et informateurs, avec un savoir presque omniscient et une intuition infaillible. La parole est donc une sorte de pouvoir chez les femmes. Bien utilisée, la parole féminine enseigne, informe et élève les chevaliers. Mal utilisée, cette même parole humilie et trompe. Je précise toutefois que Chrétien de Troyes n’a rien inventé à ce sujet, puisque les femmes étaient déjà associées à la parole et à la voix dans les textes antiques. On trouve, parmi les exemples les plus connus, le chant des sirènes, les prophéties des Sibylles, de la Pythie et autres devineresses, ainsi que certains textes d’Aristote. Rappelons que c’est le monologue d’Enide qui fait office d’élément perturbateur (plus de détails au sujet de la parole d’Enide plus bas).

En bref : même si Erec et Enide n’est pas le roman le plus connu de Chrétien de Troyes, ni du cycle arthurien, d’ailleurs, je recommande vivement cette lecture. Si vous avez déjà lu d’autres œuvres de Chrétien et que vous les avez appréciées, vous aimerez probablement aussi celle-ci. Si vous n’avez jamais lu Chrétien de Troyes, son premier roman est parfait pour se lancer. Amateurs de combats épiques, n’ayez pas peur : Erec et Enide est certes un roman de couple, mais cela ne signifie pas que l’action est délaissée pour autant. Promis, question bravoure, Erec n’a rien à envier à un Lancelot ou un Gauvain.

Plus de détails

Attention, cette partie contient des éléments qui dévoilent l’intrigue. Ne lisez pas si vous ne voulez pas gâcher le plaisir de la découverte.

J’ai déjà beaucoup mentionné la question de la parole d’Enide, mais il y a quelques points très intéressants que je voulais analyser plus en profondeur. Vous avez remarqué que ce sont les mots d’Enide qui ont provoqué la crise du couple. Mais ce n’est pas tout : ce sont aussi ses mots qui la résolvent, et d’une manière similaire. Pour faire court, Erec est déclaré mort suite à des blessures mortelles. Un comte qui passait par là en profite pour épouser Enide de force, et use de violence pour qu’elle mange au banquet. Mais la dame ne se laisse pas faire et laisse éclater sa rage dans un long monologue, qui réveille aussitôt Erec d’entre les morts. Erec règle son compte au comte (héhé), et repart avec Enide. Les mariés sont enfin réconciliés.

Cette péripétie est l’une des plus importantes du roman. Déjà, parce qu’elle révèle la force de caractère d’Enide, présentée jusque-là comme une femme timorée et craintive. Enide commence à s’affirmer, et à montrer plus de caractère par la suite, notamment pour protéger son mari. Ensuite, si vous doutiez encore du pouvoir de la parole féminine, vous en avez ici une belle preuve : cliniquement décédé ou plongé dans un profond coma, Erec se réveille grâce à la voix de sa femme. Rappelons que lors du premier monologue d’Enide, celui qui a causé la crise du couple, Erec s’était aussi subitement réveillé. Si ce n’est pas un super-pouvoir, ça…

Notons toutefois que si Erec, au début de la crise, lui interdit de parler sans son accord, Enide transgresse plusieurs fois son ordre. Ces violations ont toutes eu pour objectif de prévenir Erec d’un danger. Enide interagit ensuite deux fois avec des comtes : elle fait semblant de séduire le premier pour sauver Erec du meurtre, et se défend farouchement contre les coups du deuxième. Ce sont donc finalement ses violations qui permettent de sauver le couple à plusieurs reprises : en désobéissant plusieurs fois à Erec, Enide le protège et prouve qu’elle tient réellement à lui, ce qui résout finalement la crise qu’elle avait elle-même provoquée. Enide a appris à user efficacement de la parole : elle sait se taire quand il faut, mentir si nécessaire, et s’exprimer quand elle le doit. Elle est prête pour son statut de future reine.

De son côté, Erec comprend que sa femme ne cherche ni à le blesser, ni à lui manquer de respect par ses transgressions. La dernière péripétie, souvent nommée « épisode de la Joie de la Cour » dans les critiques, marque l’ultime triomphe d’Erec, et la fin du roman. Un roi nommé Evrain informe Erec d’une terrible épreuve dont nul n’est jamais revenu : pénétrer dans un verger et vaincre Mabonagrain, un chevalier très coriace protégeant une demoiselle. Une fois le chevalier défait, le vainqueur doit sonner du cor, ce qui permettra de ramener la joie à la cour. Sans surprise, Erec remporte le combat face à Mabonagrain (ou Maboagrain selon les textes), et ramène la joie à la cour d’Evrain.

Cet épisode marque l’apothéose du récit : pourquoi ? Après le combat, alors que toute la cour entre dans le verger en liesse, Mabonagrain raconte sa triste aventure : la demoiselle qu’il garde dans ce verger est son amie, mais aussi sa geôlière. Un jour, la jeune fille le pria, s’il l’aimait réellement, de lui faire une promesse. Mabonagrain, en homme amoureux, consentit immédiatement. Elle lui demanda alors de toujours demeurer avec elle dans ce verger, ce à quoi Mabonagrain, piégé, dut se résoudre à accepter. Dès lors, il devait tuer quiconque entrait dans ce verger, tout en espérant secrètement être délivré un jour. La jeune fille est donc la seule ne pas se réjouir de la victoire d’Erec. Enide parle plus en détail avec elle pour comprendre ses motivations : la jeune fille, qui s’avère être une cousine d’Enide, avait peur que son amant s’éprenne d’une autre femme, ce qui l’a conduit à l’isoler socialement. Enide la console en lui racontant toute son aventure depuis son mariage.

Il faut donc comprendre que le couple de Mabonagrain et la cousine d’Enide est l’antithèse du couple Erec/Enide. Mabonagrain subit l’isolement amoureux à cause de son amie, Erec a été forcé de le quitter à cause d’Enide. Enide a refusé d’être la cause du déshonneur de son mari, sa cousine a coupé Mabonagrain du monde chevaleresque sans remords. La relation entre la jeune fille et Mabonagrain est dysfonctionnelle, en ce qu’elle repose sur un attachement anxieux et la perte de l’être aimé. On reconnaît chez la cousine d’Enide la possessivité et la jalousie de la fée des lais, et nul doute que Chrétien s’en est inspiré pour ce personnage. Mabonagrain, lui, est décrit comme un chevalier de grande taille, et le couple gardien géant/fée est un motif récurrent dans les légendes médiévales.

Ce n’est pas un hasard si l’épisode de la Joie de la Cour est le dernier : en partant à l’aventure et en surmontant diverses épreuves, Erec et Enide ont pu éviter la reproduction de ce schéma toxique, et construire un couple solide, basé sur l’amour et la confiance mutuelle. Un mariage réussi, en perspective.

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Aucassin et Nicolette : inversion des genres au XIIIe siècle

Petite introduction

Bonjour tout le monde ! Sujet du jour : Aucassin et Nicolette, chantefable du XIIIe siècle. Il s’agit là d’un récit très court et, disons-le, pas franchement connu.

– Chantefable ? Qu’est-ce que c’est que ce Pokémon ?

Avant de vous perdre, laissez-moi vous expliquer de manière très succincte ce qu’est une chantefable : c’est tout simplement un récit alternant des chapitres en vers (parties chantées) et des chapitres en prose (parties parlées). Au cas où on vous vous demanderiez pourquoi vous n’avez jamais entendu ce terme avant, c’est tout simplement parce qu’il n’existe qu’une œuvre de ce genre, et c’est Aucassin et Nicolette. Selon le médiéviste Michel Zink, il s’agirait probablement d’une invention de son auteur. Problème : l’œuvre est anonyme, comme c’est souvent le cas au Moyen Âge. A l’heure actuelle, nous ne savons donc toujours pas qui est l’auteur (ou l’autrice) de la première chantefable.

Aucassin et Nicolette : mais de quoi ça parle ?

Aucassin est un fils de comte, destiné à devenir héritier et à épouser une femme de haut lignage. Mais il n’a d’yeux que pour Nicolette, une esclave que le comte a achetée aux Sarrasins et qu’il a fait baptiser. Elevés ensemble depuis leur enfance, ils sont tombés amoureux l’un de l’autre à l’adolescence. Les parents d’Aucassin séparent donc les deux amants : Aucassin est enfermé dans une tour, et Nicolette est contrainte de rester dans sa chambre avec une servante. Nicolette parvient à s’échapper par la fenêtre, et s’introduit dans la prison d’Aucassin. Les deux amants s’échappent et se retrouvent, mais ne sont pas au bout de leurs peines…

Critique

Avant toute chose, il est bon de préciser que le texte est profondément satirique. L’extrême mièvrerie que l’on retrouve parfois, et particulièrement chez Aucassin, est entièrement voulue. Si jamais le résumé vous a plu et que souhaitez tenter l’expérience, gardez bien à l’esprit que le récit n’est pas à prendre au sérieux.

Ici, pas de chevalier charismatique prêt à tout pour son amie. Aucassin est un chevalier qui ne cherche pas à devenir meilleur, car il ne s’intéresse qu’à Nicolette. Dans Le Chevalier de la charrette, l’obsession de Lancelot pour Guenièvre est certes parfois décrite de façon ridicule, mais Lancelot a au moins le mérite d’être un excellent chevalier. Aucassin, lui, est un disque rayé, ridicule de bout en bout, et qui subit pendant tout le récit. S’il n’est pas foncièrement mauvais guerrier, ses exploits chevaleresques sont peu mémorables, et surtout peu honorables : Aucassin combat pour son père seulement parce qu’il y est obligé, et, plus tard dans le récit, il remporte une victoire… contre des adversaires désarmés. Pleutre, il est fort avec les faibles, et faible pendant le reste du récit. J’ai déjà fait la blague du jeu à boire dans une chronique précédente, mais je la refais quand même : prenez un shot à chaque fois qu’Aucassin se plaint ou pleure, mais faites-le uniquement si vous tenez bien l’alcool.

Là, vous vous dites sûrement : « Un héros qui n’en est pas un, une intrigue si niaise qu’il faut la lire au dixième degré pour l’apprécier… Mais quel est l’intérêt de ce bouquin, alors ? »

L’héroïne.

Alors que l’amant pathétique, qui n’a rien d’un Lancelot, se laisse porter par les événements en larmoyant, Nicolette, elle, agit. La force du récit, c’est incontestablement elle. Nicolette la preuse, comme elle est souvent surnommée par Aucassin et le narrateur, se lamente parfois, mais ne se laisse jamais abattre. Prisonnière dans une chambre avec une vieille servante pour seule compagnie, elle parvient tout de même à s’enfuir grâce à son courage et son ingéniosité. Nicolette n’a rien d’une demoiselle en détresse. En fait, le seul personnage qui correspond à ce cliché n’est autre qu’Aucassin, tant il est passif. La question de l’inversion des genres semble passionner l’auteur de la chantefable, puisqu’elle est aussi au cœur d’une péripétie du récit (plus de détails ci-dessous).

Pour plus de détails

Le récit étant court et ayant dit l’essentiel dans la critique ci-dessus, je ne vais pas m’éterniser. Je souhaitais simplement approfondir certains points, dont l’inversion des genres dans le récit.

Après leur fugue, Aucassin et Nicolette prennent le bateau et débarquent au royaume de Torelore (qui semble fictif). Les deux amis découvrent alors les étranges coutumes du royaume : alors que le roi est alité après la naissance de son fils, la reine est partie mener leurs troupes à la guerre. Aucassin bat le roi, et lui fait promettre de mettre fin à ces coutumes « contre-nature ». Le roi accepte, et rejoint sa femme sur le champ de bataille, accompagné d’Aucassin. Surprise : les deux camps, au lieu d’échanger des coups et de se lancer des projectiles, se lancent des œufs, du fromage, et d’autres aliments. Aucassin se propose de combattre les ennemis du roi et de la reine et, sous leurs yeux ébahis, se livre à un véritable carnage.

Cette péripétie, l’une des plus importantes du récit, n’a que peu d’incidence sur le reste du récit. Elle est pourtant hautement symbolique. Malgré le dégoût que ressent Aucassin lorsqu’il voit le roi en couches et la reine à la guerre, il est incapable de se rendre compte qu’il est dans une situation analogue. A la suite de cet épisode, Aucassin et Nicolette sont une fois de plus séparés : Nicolette se retrouve par hasard chez les siens, à Carthagène, et Aucassin rentre chez son père. Désormais chrétienne, Nicolette se refuse à épouser le roi païen que ses parents lui destinent, et, une fois de plus, s’enfuit pour retrouver Aucassin. Elle se grime en jongleur, et réussit à rejoindre Aucassin, qui se morfond chez lui depuis qu’il a perdu sa bien-aimée. Après l’avoir reconnue une fois démaquillée, Aucassin est fou de joie et l’épouse. C’est donc une fois de plus Nicolette qui est à l’origine de la réunion des amants. L’épisode du travestissement en jongleur est un clin d’œil à la Folie Tristan : comme Nicolette, Tristan se grime le visage grâce à une plante, et se fait passer pour un fou devant la cour du roi Marc, et comme Iseut, Aucassin ne parvient pas à voir au-delà du déguisement. Une fois de plus, les genres sont inversés. Le récit tout entier est comme le royaume de Torelore : un carnaval. Nul doute que la satire était nécessaire pour présenter un couple aussi atypique dans la littérature médiévale.

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Lais féeriques du XIIe et XIIIe siècles : le merveilleux celtique

Qu’est-ce qu’un lai ?

Au programme aujourd’hui : une compilation de lais féeriques du XIIe et XIIIe siècles, traduits et présentés par Alexandre Micha. Vous avez sûrement déjà entendu parler des lais de Marie de France. Peut-être même avez-vous étudié le lai du chèvrefeuille au collège.

Si vous ne savez pas ce que c’est ou que vous avez oublié, pas de problème, on va reprendre les bases.

Qu’est-ce qu’un lai, alors ? Pour faire simple, c’est un court poème narratif mis en musique, souvent joué à la harpe ou d’autres instruments à cordes. Autrement dit, un lai est d’abord destiné à être chanté et écouté, tout comme une pièce de théâtre est avant tout destinée à être jouée et regardée. On pourrait donc comparer le lai à un conte en vers, accompagné d’un instrument. Eh oui, n’oublions pas que le taux d’alphabétisation était très faible au Moyen Âge, même parmi les nobles. La tradition orale était donc essentielle pour que les légendes se transmettent de génération en génération.

Que raconte-on dans un lai ? Eh bien, les lais transmettent surtout des légendes bretonnes et celtiques, teintées d’un merveilleux non-chrétien. C’est ce qu’on appelle la « matière de Bretagne », très répandue dans la littérature du XIIe et XIIIe siècles. Le cycle arthurien et le cycle tristanien sont, par exemples, deux composantes majeures de la matière de Bretagne. Par Bretagne, il faut entendre : Armorique (c’est-à-dire, grosso modo, la France de l’Ouest : l’actuelle Bretagne, la Normandie et les Pays de la Loire) et Grande-Bretagne. Certains lais peuvent aussi avoir un lien étroit avec l’Irlande.

Maintenant que les bases sont posées, nous allons pouvoir entrer dans le vif du sujet. Les lais bretons ont eu un certain succès au XIIe siècle, et ont largement contribué à la diffusion de la matière de Bretagne en France. Les plus célèbres sont ceux de Marie de France. (J’aurais d’ailleurs dû commencer par ceux-là, mais j’ai malheureusement perdu le livre. Ce sera donc pour plus tard).

Ceux dont je vais parler aujourd’hui sont tous anonymes, certains très inspirés des lais de Marie de France. Les lais étant brefs par nature, j’ai fait le choix de tous les résumer dans leur intégralité. Si vous souhaitez les lire et que vous ne voulez pas gâcher le plaisir de la découverte, je vous conseillerais de lire un ou deux résumés, histoire de jauger votre intérêt.

Les onze lais en bref

Lai de Graelent

Une reine tombe amoureuse d’un chevalier, Graelent. Ayant juré fidélité au roi, il la repousse. La reine, offensée, lui fait payer cet affront en conseillant le roi de ne plus lui donner d’argent. Graelent tombe dans la pauvreté, et, honteux, quitte la cour. Alors qu’il traverse une forêt, il remarque une belle jeune fille qui se baigne dans une rivière. Il vole ses vêtements afin de la forcer à sortir de l’eau, ce qu’elle finit par faire. Il la prie d’amour et lui ravit son pucelage. La jeune fille accepte de devenir son amie, à condition qu’il ne parle jamais d’elle à qui que ce soit. Elle lui offre alors des somptueux présents, ce qui améliore considérablement la condition de Graelent, et se voient secrètement dans la forêt. Graelent revient à la cour, qu’il avait quittée à cause de la reine. Tous les ans, à la Pentecôte, le roi fait défiler la reine sans manteau, dans le but de montrer à tous qu’elle est la plus belle. Tout le monde s’émerveille, sauf Graelent qui se moque de la reine. Le roi s’en aperçoit et lui demande des explications. Graelent affirme alors que son amie à lui est bien supérieure à la reine, et ce, en tout point. Il refuse néanmoins de la faire venir à la cour pour prouver ses dires, ce qui met le roi et la reine dans une grande colère. Le roi lui impose de faire venir son amie dans un délai imparti, autrement il sera condamné à mort pour avoir offensé la reine. Désespéré, Graelent sait qu’il a rompu sa promesse et qu’il a perdu son amie. Elle demeure introuvable malgré ses recherches. Elle apparaît finalement avec ses suivantes au procès de Graelent, et tous s’accordent à dire que même les suivantes sont plus belles que la reine. Sauvé, Graelent poursuit son amie et la supplie de lui pardonner, mais elle refuse. Elle entre dans la rivière de la forêt pour rentrer chez elle, mais Graelent plonge avec elle et manque de se noyer. Les suivantes supplient alors la demoiselle de lui pardonner et de le prendre en pitié. Elle finit par accepter et l’emmène avec elle au fond de l’eau.

Lai de Guingamor

Guingamor est le neveu d’un roi. Un jour, la reine le prie d’amour, mais il refuse. Craignant qu’il parle de sa conduite au roi, elle cherche alors un moyen pour se débarrasser de lui. Elle parle alors devant toute la cour d’une quête impossible à accomplir, et soutient qu’aucun chevalier ici présent n’en reviendrait vivant : la chasse d’un sanglier blanc. Guingamor comprend que la reine cherche à le provoquer, et décide de partir à l’aventure. La reine, de son côté, souhaite ardemment qu’il périsse. Alors qu’il chasse le sanglier blanc dans les bois, il voit un magnifique palais, complètement désert. De nouveau dehors, il se remet en quête du sanglier blanc, et trouve une source, dans laquelle se baigne une très belle jeune fille. Elle devient son amie, et l’emmène chez elle, dans le palais que Guingamor a visité auparavant. Il est mystérieusement devenu habité et festif. Là, la jeune fille remet à Guingamor la tête du sanglier blanc, puisque c’est l’objet de sa quête. Guingamor, heureux, décide de retourner à la cour du roi pour prouver à tous sa réussite, mais la jeune fille lui tient un discours étrange : il croit être resté chez elle deux jours, mais il s’est en réalité écoulé 300 ans ! Guingamor peine à y croire. La jeune fille veut bien le laisser repartir, à condition qu’il ne mange ni ne boive. De retour dans son pays, Guingamor ne reconnaît plus rien. Il croise un charbonnier, qui lui confirme les dires de la demoiselle : le château est en ruine, et tous ses habitants sont morts depuis 300 ans. Guingamor, désespéré, lui donne la tête du sanglier, et lui explique son malheur. Sur le chemin du retour, il voit un pommier, et, tenté, il oublie sa promesse et mange trois pommes. Il se transforme aussitôt en vieillard mourant. Des jeunes filles apparaissent et le sermonnent, avant de l’emporter avec lui. Le charbonnier, qui avait assisté à toute la scène, rentre dans son village avec la tête du sanglier et raconte cette histoire à tout le monde.

Lai de Désiré

Un vavasseur et sa femme, malgré tous leurs efforts, ne parviennent pas à avoir d’enfant. Ils partent en pèlerinage prier Saint Gilles, et à leur retour, la femme tombe enceinte. Quelques mois plus tard, elle accouche d’un garçon, Désiré. Les années passent et Désiré devient un beau chevalier. Un jour, il va dans la Blanche Lande rendre visite à un ermite qu’il connaît bien et, dans une forêt, il rencontre deux demoiselles. La plus belle devient son amie, lui donne un anneau d’or et lui demande de ne jamais le retirer, sinon il la perdrait pour toujours. Ils se voient de temps en temps, et finissent par avoir deux enfants, chose que Désiré ignore. Un jour, alors que le roi qu’il sert lui demande de partir en guerre, Désiré va se confesser chez l’ermite, car il redoute de mourir en pécheur, et lui parle de son amie. Une fois sorti de chez l’ermite, il se rend compte que son anneau d’or n’est plus à son doigt. Désiré a beau l’appeler et la chercher, son amie ne se montre pas. Effondré, il croit l’avoir perdue pour toujours, et tombe gravement malade. Elle lui apparaît finalement et lui explique sa faute : elle a vécu la confession de Désiré comme une trahison, et n’a pas apprécié qu’il considère leur liaison comme un péché à absoudre. Désiré lui demande pardon, et elle accepte de lui donner une seconde chance. Puisque Désiré semble douter de sa chrétienté, elle lui apparaîtra tous les jours à l’église, lors de la messe. Un jour, alors que Désiré chasse avec le roi, il rencontre un jeune homme, qui se présente à lui comme son fils. Le jeune homme, sur les ordres de sa mère, est venu lui rendre l’anneau d’or. Quelques jours plus tard, le fils part précipitamment vers la forêt pour rentrer chez sa mère. Accablé, Désiré le suit, mais ne le trouve pas. Quelques jours plus tard, l’amie de Désiré se rend à la cour du roi avec les deux enfants. Elle demande au roi de lui donner Désiré en mariage, afin qu’ils puissent enfin vivre leur amour. En échange, elle laisse à la cour ses deux beaux enfants. Le roi accepte, et Désiré et sa femme vont vivre dans la forêt, d’où ils ne reviendront plus jamais. Leur fils deviendra un chevalier vaillant et leur fille, l’épouse du roi.

Lai de Tydorel

Un jour, un roi part à la chasse, pendant que la reine l’attend à l’écart avec ses suivantes. Elle croise un beau chevalier qui veut faire d’elle son amie. Subjuguée, la reine accepte, à condition de savoir qui il est et d’où il vient. Le chevalier l’emmène près d’un lac, et lui explique qu’il doit le traverser pour venir en ce pays. Il lui dit aussi qu’elle aura de lui un fils nommé Tydorel, qui sera un chevalier accompli en tout point, mais qui ne dormira jamais. Plusieurs mois plus tard, la reine accouche d’un garçon, nommé, comme prédit, Tydorel. La reine et le chevalier continuent de se voir occasionnellement, mais se font un jour surprendre. Dès lors, l’amant ne se montre plus jamais, et celui qui les a surpris meurt mystérieusement. Un jour, le roi décède, et Tydorel lui succède. Incapable de dormir, il exige qu’une personne vienne chaque nuit le divertir. Un soir, c’est un jeune forgeron qui est chargé de l’amuser. Sur les conseils de sa vieille mère, le forgeron dit à Tydorel que celui qui ne dort jamais ne peut être mortel. Intrigué, Tydorel part réveiller sa mère et lui ordonne de révéler la vérité sur son véritable père. La reine lui avoue tout en pleurant. Désemparé, Tydorel chevauche jusqu’au lac de la forêt et y plonge. Personne ne sait ce qu’il est devenu depuis.

Lai de Tyolet

Tyolet vit seul avec sa mère dans une forêt. Il a reçu d’une fée le don de siffler de façon à attirer facilement les bêtes à lui, don qui fait de lui un chasseur exceptionnel. Un jour, alors qu’il chassait, il poursuit un cerf, qui se transforme en beau chevalier. Tyolet n’ayant jamais vu de chevalier, il pose diverses questions à son interlocuteur, qui lui explique ce qu’est un chevalier, à quoi sert son équipement, et comment en devenir un. De retour chez lui, Tyolet demande à sa mère de lui apporter un équipement de chevalier, ce qu’elle fait à contrecœur. Elle lui donne quelques conseils et lui indique comment se rendre à la cour du roi Arthur, le meilleur des rois. Une fois à la cour, Arthur l’adoube. Une superbe princesse arrive alors, et promet sa main à celui qui lui apportera le pied du cerf blanc gardé par six lions. Tyolet, comme beaucoup d’autres, tente la quête, et la réussit. Malheureusement, il se blesse gravement pendant le combat, et demande donc à un autre chevalier d’apporter le pied à la cour en son nom. Le chevalier en profite pour lui donner un coup mortel, et repart en le laissant pour mort. A la cour d’Arthur, il prétend être celui qui a réussi la quête, et demande la main de la jeune fille. Arthur donne un délai de 8 jours, pendant lequel Gauvain part à la recherche de Tyolet. Il le trouve agonisant, et entend la vérité de sa bouche. Gauvain séduit une demoiselle qui passait par là, et l’enjoint de conduire Tyolet à un médecin. Les huit jours passent, Arthur est donc sur le point de marier la jeune fille et l’imposteur. Gauvain interrompt la cérémonie et révèle toute la vérité derrière l’affaire. Tyolet, remis sur pieds, entre à son tour dans la salle, et réclame la demoiselle. Arthur les marie, et Tyolet devient roi.

Lai de l’Aubépine

Deux enfants d’un couple royal sont élevés en tant que frère et soeur. Le garçon est le fils du roi et d’une concubine, la fille est l’enfant de la reine et d’un mari précédent. Ils tombent amoureux l’un de l’autre à l’adolescence, mais la reine les surprend un jour dans le même lit. Elle bat sa fille et parle de l’affaire au roi, causant ainsi la séparation des deux amants. Plus tard, le garçon devient chevalier, et entend parler, lors d’une veillée, du gué de l’Aubépine, où se produisent diverses aventures merveilleuses. Intrigué, il décide d’y aller. De son côté, la fille entend parler de l’entreprise de son ami, et, apeurée, va prier pour lui dans un verger, où elle finit par s’endormir. Dans son sommeil, elle est miraculeusement transportée au gué de l’Aubépine, où elle retrouve son ami. Celui-ci y affronte plusieurs adversaires, et repart avec un destrier merveilleux : il est très rapide, et n’a nul besoin d’être nourri. Mais si jamais on lui enlève sa bride, il disparaîtra. Au sortir du gué, le garçon et la fille se marient. Un jour, la fille devenue dame demande à son mari de lui expliquer les propriétés merveilleuses de son cheval. Elle enlève aussitôt la bride, et le cheval disparaît pour toujours.

Lai de Mélion

Un chevalier de la Table Ronde, Mélion, déclare un jour qu’il ne donnera son amour qu’à une demoiselle qui n’a jamais aimé avant lui, et qui n’a même jamais prononcé le nom d’un autre homme. Tout le monde le tient pour fou, et les femmes le méprisent pour ces paroles insensées. Déprimé, Mélion ne veut plus porter les armes, ce qui attriste le roi Arthur. Il lui offre alors un fief et un de ses châteaux pour le consoler. Mélion s’y rend et s’y plaît bien, à tel point qu’il ne veut plus rentrer. Un jour, lors d’une chasse au cerf, une magnifique jeune fille se présente à lui : elle est la fille du roi d’Irlande, et correspond parfaitement à son idéal. Sans plus tarder, Mélion l’épouse, et le couple a deux beaux fils. Un jour, Mélion part chasser le cerf avec sa femme et un écuyer. La femme supplie Mélion de lui rapporter un cerf, car elle veut absolument en manger. Mélion lui montre alors l’anneau à son doigt, incrusté de deux pierres magiques. Il lui explique que s’il se déshabille et qu’on lui touche la tête avec l’une des pierres, il se changera en loup et pourra alors attraper le cerf qui lui a échappé. Il se déshabille, demande à sa femme de garder ses vêtements, et, transformé en loup, part à la chasse. Mais la femme l’abandonne et repart en Irlande avec l’écuyer. Mélion se rend alors compte de la trahison de sa femme, et cherche à rentrer lui aussi en Irlande. Il parvient à se cacher dans un bateau qui part pour Dublin. Une fois arrivé en Irlande, Mélion se lie d’amitié avec une meute de loups. Un jour, le roi d’Irlande entend parler d’une meute de loups qui fait des ravages, et intervient personnellement pour les capturer et les mettre à mort. Seul Mélion, qui conserve son agilité de chevalier, parvient à s’échapper. Alors qu’il pleure la mort de ses compagnons, il voit au loin un bateau de roi Arthur, qui vient avec sa cour rendre visite au roi d’Irlande. Mélion décide de tenter le tout pour le tout, et tente de l’approcher. Arthur se rend compte bien vite que le loup n’est pas dangereux et qu’il est apprivoisé. Il en fait donc son loup de compagnie et refuse qu’on lui fasse du mal. Lors d’un banquet, Mélion reconnaît l’écuyer qui était avec sa femme le jour où elle l’a abandonné, et, furieux, se met à l’attaquer. Celui-ci comprend que le loup n’est autre que Mélion et, honteux, raconte à tous ce qui s’est passé. Le roi d’Irlande se rend alors dans les appartements de sa fille, et lui demande de lui céder l’anneau magique. Mélion reprend forme humaine et désire changer sa femme en louve pour se venger, mais Arthur l’en empêche, lui rappelant qu’ils ont des enfants. Mélion repart alors avec Arthur, et laisse sa femme en Irlande.

Lai de Doon

Une jeune fille orgueilleuse, contre l’avis de ses barons, refuse de se marier, sauf à une condition : son futur époux devra être capable de faire le trajet Edimbourg-Southampton en une journée. Beaucoup essayent, mais tous meurent d’épuisement. Doon entend des rumeurs à ce sujet et réussit l’épreuve, car il possède le destrier le plus rapide de toute la Grande-Bretagne. La jeune fille lui demande alors de refaire le trajet en sens inverse dans les mêmes conditions, mais cette fois-ci, il devra être plus rapide que son cygne. Doon triomphe une seconde fois. Vaincue, la jeune fille accepte de l’épouser. Mais 4 jours après le mariage, Doon décide de punir son orgueil en partant. Il lui prédit l’accouchement d’un fils, et lui demande de lui remettre son anneau une fois qu’il sera adulte. Plusieurs années plus tard, le fils, fait chevalier, part au Mont Saint-Michel éprouver sa bravoure. Il affronte lors d’un tournoi un très puissant chevalier, qui n’est autre que Doon. Celui-ci voit l’anneau et comprend qu’il est son fils. Il accepte de rentrer avec son fils, et se réconcilie avec sa femme.

Lai du Trot

Un chevalier de la Table Ronde, Lorois, va dans la forêt de Morois pour écouter le chant du rossignol. Il voit alors 80 dames sortir de la forêt, toutes plus belles les unes que les autres. Elles chevauchent des beaux palefrois blancs allant à l’amble, et chacune est accompagnée de son ami. Un peu plus tard, il voit 80 autres dames sortir de la forêt, mais celles-ci sont seules et portent des vêtements déchirés. Elles vont au trot sur des chevaux noirs et boiteux. Lorois, surpris de tout ce qu’il a vu, décide de parler à l’une des dames qui vont au trot. Celle-ci lui explique qu’elle n’a jamais daigné aimer, et qu’elle en est maintenant punie : le trot est le lot de toutes celles qui ne servent pas Amour. Lorois comprend la leçon et, une fois rentré au château, conseille aux femmes de préférer l’amble au trot.

Lai du libertin

Lors de la Saint-Pantaléon, les Bretons se réunissent pour organiser un concours : celui ou celle qui racontera la plus merveilleuse des histoires verra son aventure composée en lai. Alors que les histoires d’exploits chevaleresques et d’aventures merveilleuses se succèdent, une dame fait remarquer qu’une seule et unique chose est à l’origine des exploits et des aventures : le con (oui, vous avez bien lu). Elle soutient qu’il conviendrait donc de rendre hommage au con des dames, puisque c’est pour lui que toute bonne action se fait. Toutes les personnes présentes approuvent, et c’est ainsi qu’est né le lai du libertin, apprécié des clercs et des chevaliers. Le narrateur précise toutefois qu’il ne s’agit pas de son vrai nom, mais qu’il tient à respecter la bienséance…

Lai de Nabaret

Nabaret, preux chevalier, a pour épouse une femme frivole et superficielle, qui ne semble s’intéresser qu’à sa toilette. Ce comportement l’agace au plus haut point, car il pense que sa femme cherche à aguicher autrui. Après lui en avoir parlé en vain, Nabaret se tourne vers ses beaux-parents et leur demande d’intervenir. La femme, sermonnée par ses parents, réplique aussitôt que si elle renonce à sa toilette, son mari devra se laisser pousser la barbe et se tresser les moustaches. Les parents éclatent de rire et, trouvant la répartie de leur fille excellente, racontent l’histoire un peu partout dans le but de se moquer de Nabaret.

Critique

Dans l’ensemble, j’aime beaucoup ces lais, même si certains semblent hors sujet (les deux derniers, surtout). On y retrouve beaucoup d’éléments du merveilleux celtique, à commencer par les rencontres avec des êtres surnaturels, jeunes filles à la beauté irréelle et beaux chevaliers doués de métamorphose. Ces rencontres, souvent amoureuses, se font la plupart du temps dans des endroits naturels et isolés (forêts, points d’eau, gués…), lors de certains évènements (chasse, désarroi d’une personne esseulée…) et à certaines conditions horaires et météorologiques (brume, nuit, aube, crépuscule etc.).

La notion de droits d’auteur n’existant pas encore au Moyen Âge, certains lais s’inspirent fortement d’autres sources. C’est le cas par exemple du lai de Mélion, très semblable au Bisclavret de Marie de France : dans ces deux lais, un homme lycanthrope est trahi par sa femme (« bisclavret » est le nom breton du loup-garou). Graelent et Guingamor partagent eux aussi une trame similaire : un chevalier d’une grande beauté est sollicité par la reine, mais, fidèle au roi, il repousse ses avances. Lors d’une excursion dans une forêt (causée directement ou indirectement par l’attitude de la reine), le chevalier rencontre une jeune fille se baignant dans une source, et devient son amant. La jeune fille impose une condition que le chevalier ne respecte pas, ce qui cause sa perte. Le motif de la rencontre entre un humain et un être surnaturel et d’un pacte transgressé, que l’on retrouve aussi dans la célèbre légende de Mélusine, existait déjà dans l’Antiquité (mythe de Psyché, mythe d’Orphée…), et existe aussi dans d’autres cultures. Guingamor, par exemple, ressemble beaucoup au conte japonais Urashima Tarô. Le début de Tyolet est aussi presque identique au début du Conte du Graal, de Chrétien de Troyes.

Je souhaiterais maintenant me pencher un peu plus sur les trois derniers lais, que je classe à part. Si le lai du Trot présente encore quelques caractéristiques féeriques (rencontres merveilleuses dans une forêt), il est avant tout didactique. L’objectif du lai n’est pas de divertir, mais de faire passer une leçon : Amour est toujours vainqueur, et les demoiselles orgueilleuses qui le méprisent le paieront cher. L’amour est effectivement très valorisé au XIIe siècle, qu’il soit adultère ou légitime. On le retrouve dans la quasi-totalité des romans de chevalerie de ce siècle (si ce n’est la totalité). Nombreux sont les chevaliers qui doivent leur renommée et leur bravoure à l’amour. C’est d’ailleurs cet aspect des romans de chevalerie qui est moqué dans le lai du libertin. La figure de la dame courtoise y est démystifiée, réduite à sa seule partie intime, qui, selon la dame à l’origine du lai, est la seule chose qui intéresserait ces champions de l’amour. Critique de l’amour courtois, ou simple plaisanterie grivoise ? On n’en sait trop rien, à vrai dire, mais le lai de Nabaret, lui aussi teinté d’humour, tend plutôt à privilégier la seconde option.

Cela ne veut pas dire pour autant que le lai ne peut pas être instructif. Le lai du Trot est un lai didactique, et beaucoup de ces récits ont une morale plus ou moins implicite. Ces morales se trouvent bien souvent être les mêmes : les orgueilleux en amour sont punis (Mélion, Doon, lai du Trot), de même que ceux qui ne respectent pas leur serment (Graelent, Guingamor). En outre, certains de ces lais présentent la femme sous un mauvais jour, et plus particulièrement les reines de Graelent et Guingamor. Les connaisseurs de l’Ancien Testament reconnaîtront en ces deux personnages l’épouse du pharaon Putiphar.

Celle-ci, en l’absence de son mari, tente de séduire Joseph, mais, comme il repousse ses avances, elle le saisit par son manteau et s’en sert comme preuve pour l’accuser de tentative de viol. Le pharaon, furieux, le fait jeter en prison.

On peut même voir une référence à l’épisode du manteau dans Guingamor, mais à la différence de la femme de Putiphar qui s’en sert comme arme, la reine cherche à s’en débarrasser pour éviter tout soupçon sur elle. Autre figure féminine mauvaise : la femme de Mélion. Mais ne faut-il pas voir, dans la trahison de la femme, un châtiment contre l’orgueil de son mari ? Mélion semble effectivement être le pendant masculin de la jeune fille dans Doon. Tous deux refusent l’amour, à moins de trouver un(e) partenaire qui corresponde à leurs attentes si élevées qu’elles en deviennent absurdes. Doon réussit toutes les épreuves de la jeune fille orgueilleuse, mais l’abandonne après le mariage. Mélion trouve une femme n’ayant jamais prononcé le nom d’un autre homme, mais elle l’abandonne sous sa forme de loup. Les vertus de l’Amour, chantées dans les lais, semblent même parfois compromises : comment expliquer l’attitude mystérieuse de la dame à la fin du lai de l’Aubépine ? Alors qu’elle épouse son ami, elle cause intentionnellement la perte de son destrier merveilleux. Voulait-elle que son mari passe moins de temps à cavaler, et plus de temps avec elle ? On retrouverait là le motif de la prison amoureuse de la fée, non sans rapport avec notre thème.

Le motif de la fée jalouse et possessive est très fréquent dans la littérature médiévale… mais pas que.

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Ségurant, le Chevalier au Dragon : un héros tombé dans l’oubli

Petite introduction :

Et me voilà de retour pour ma deuxième critique sur Ségurant, la première reconstitution d’Emanuele Arioli. Oui, j’ai fait les choses dans le désordre, mais mes souvenirs d’Alexandre étant bien plus frais, j’ai commencé commencer par là. Et je ne pouvais pas parler de la deuxième reconstitution d’Emanuele Arioli sans parler de la première. (Pour lire la chronique sur Alexandre, c’est par ici).

Ségurant est plus ancien qu’Alexandre, puisque la « version cardinale » (c’est-à-dire la première version) date de la fin du XIIIe siècle. Pour rappel, la légende d’Alexandre l’Orphelin daterait, selon Arioli, du XIVe siècle.

Si la légende d’Alexandre était résumée dans Le Morte d’Arthur de Thomas Malory, cela n’a pas été le cas pour celle de Ségurant. N’étant pas resté dans le canon arthurien, Ségurant a peu à peu sombré dans l’oubli, jusqu’aux recherches d’Arioli qui ont permis l’édition de ce livre aux Belles Lettres.

Ségurant, le Chevalier au Dragon : mais de quoi ça parle ?

Résumé : Originaire de l’Île Non Sachante, Ségurant le Brun est adoubé par son grand-père après avoir tué tous les lions qui s’y trouvaient. En quête de gloire et d’aventures, Ségurant atteint le royaume de Logres, et, au cours d’un tournoi à Winchester, bat plusieurs chevaliers de la Table Ronde (Gauvain, Yvain, Tristan…). La fée Morgane et son amie, Sybille l’enchanteresse, voyant la force de Ségurant, décident de se débarrasser de lui. Elles invoquent alors Lucifer et lui font prendre la forme d’un dragon, puis le font apparaître au tournoi. Ségurant prend son courage à deux mains et décide de l’affronter. Mais le dragon illusoire s’enfuit, Ségurant à ses trousses…

Critique : version courte

Ségurant est sympathique, même si, comme dit précédemment, j’ai préféré Alexandre. Tout comme ce dernier, Ségurant est parsemé de belles enluminures, tirées des manuscrits d’origine.

exemple d’enluminure

Je pense qu’à l’instar d’Alexandre, Ségurant est parfait pour se lancer dans la littérature médiévale. Non seulement l’édition est de très bonne facture, mais le texte est aussi très accessible. Petit bémol déjà mentionné dans l’article sur Alexandre, qui risque peut-être de rebuter certains lecteurs : le style « place du marché ». Les nombreuses marques d’oralité comme « Que vous dire ? » en début de paragraphe ou encore « Le conte cesse maintenant de parler de… » à la fin de chaque chapitre. Si ces tournures ne me gênent pas outre mesure (peut-être par habitude), nul doute que ce style très éloigné de nos canons littéraires ne fera pas l’unanimité. Cela implique également de nombreuses redites : chaque dame ou demoiselle introduite est la plus belle du royaume (mais c’est un motif que l’on trouve dans presque tous les romans médiévaux), et Ségurant précipite chaque ennemi « dans un tel état qu’un médecin lui serait inutile » (variante : « d’une telle manière qu’il ne pourra jamais se relever »). Si vous êtes joueur/euse et que vous tenez bien l’alcool, vous pourriez presque en faire un jeu à boire.

Autre point que j’avais déjà abordé dans Alexandre : l’humour farcesque. Alors que le comique médiéval se retrouve essentiellement dans les farces et les fabliaux, il est, dans Ségurant et Alexandre, très présent. Ségurant a un appétit d’ogre, ce qui ne manque pas de faire rire aux éclats d’autres personnages qui le compare à un loup. En le voyant manger autant, certains personnages se demandent même si la mère de Ségurant n’aurait pas certains vices à confesser…

Finalement, Ségurant est un peu comme un héros de shônen.

Critique détaillée

(Attention, cette partie peut révéler des éléments de l’intrigue, ainsi que celle d’Alexandre)

On peut regretter que le dragon en question ne soit finalement qu’une illusion. On peut aussi regretter que l’apparition du dragon soit aussi tardive dans le récit, puisque, pendant la majeure partie du roman, je n’ai eu de cesse de me demander « mais où est ce #?%!^* de dragon ? » Si l’entrée en scène tardive du dragon-illusion peut être frustrante pour les lecteurs, elle est en fait logique. La poursuite du dragon n’est pas une péripétie parmi tant d’autres, elle n’est pas même la péripétie principale. Elle représente purement et simplement la fin de Ségurant en tant que personnage, destiné à tomber dans l’oubli (intradiégétique et, ironiquement, extradiégétique). La poursuite du dragon, c’est à la fois l’apothéose et l’élément de résolution du récit. Morgane a vaincu Ségurant, mais ni les lecteurs, ni lui-même ne le savent encore. Tout comme Alexandre, qui ne parviendra jamais à assouvir sa vengeance sur le roi Marc, Ségurant poursuit une illusion jusqu’à l’oubli. Seule une continuation du XVe siècle conduit à un dénouement heureux, dans lequel Ségurant tue le dragon et finit désensorcelé.

En vérité, on pourrait presque traiter Ségurant et Alexandre comme un diptyque, tant les deux récits présentent des similitudes bien spécifiques à eux : Ségurant et Alexandre sont voués à échouer dans leur quête respective, les magiciennes, et plus particulièrement Morgane et Sybille l’enchanteresse, sont des antagonistes principales, et les deux récits sont teintés d’un humour grotesque d’ordinaire absent des romans arthuriens. Ségurant et Alexandre sont pourtant bien différents, presque à l’opposé l’un de l’autre : le premier combat des lions sur une île, mange comme dix et préfère les amitiés viriles à la compagnie des dames (dans une continuation, il empêche même le jugement de Dinadan, coupable de viol sur une jeune paysanne). Le second est d’une grande beauté, plus courtois, et a beaucoup de succès auprès des femmes.

Bref, je vous recommande vivement ces deux romans si vous souhaitez approfondir votre culture littéraire, ou que vous souhaitez vous lancer dans la littérature médiévale.

Le GIF provient de Ténor.

Alexandre, l’Orphelin de la Table Ronde : cousin oublié de Tristan

Petite introduction : contexte et précisions

Et voici donc ma première critique, qui portera sur la reconstitution de la légende d’Alexandre l’Orphelin par Emanuele Arioli, chercheur médiéviste surtout connu pour son autre reconstitution, Ségurant, le chevalier au Dragon, publié l’année dernière (que je possède également).

Tout comme Ségurant, Alexandre est un oublié de la Table Ronde, tous deux ressuscités par le fruit de dix années de recherche. Mais contrairement à Ségurant, qui est un parfait quidam, Alexandre est lié à deux personnages bien connus de la littérature médiévale (si si, je vous assure que vous les connaissez) : Tristan et le roi Marc. En effet, au XIIIe siècle, la légende de Tristan a été réécrite en prose, et incorporée dans celle d’Arthur. Depuis ce remake, comme on appellerait cela aujourd’hui, Tristan compte désormais parmi les chevaliers de la Table Ronde.

Petit rappel sur la légende tristanienne : l’histoire de Tristan est avant tout celle d’un triangle amoureux tragique. La belle Iseut doit épouser le roi Marc, qu’elle ne connaît que de nom. Sa mère (qui s’appelle aussi Iseut) prépare un philtre d’amour destiné aux mariés, mais sur le trajet, elle boit accidentellement le philtre avec Tristan, le neveu de Marc. De là naît une passion dévorante et destructrice entre Tristan et Iseut (qui est donc sa tante par alliance). Les amants maudits, conscients que leur amour superficiel risque de les faire périr, décident de s’éloigner l’un de l’autre. Tristan épouse une jeune fille (qui s’appelle aussi Iseut…), qui finira par découvrir l’existence de sa rivale, et, folle de jalousie, provoquera la mort des deux amants.

Mais revenons à Alexandre. Sa légende est résumée dans Le Morte d’Arthur, grande compilation du cycle arthurien écrit par sir Thomas Malory au XVe siècle. La légende d’Alexandre l’Orphelin aurait été écrite au XIVe siècle, puisque ce chevalier n’est mentionné nulle part dans les siècles précédents. A vrai dire, hormis quelques bribes trouvés dans certains manuscrits, ainsi que le résumé de Thomas Malory, il n’existait que peu de sources sur cet Orphelin.

Alexandre l’Orphelin : mais de quoi ça parle ?

Entrons maintenant dans le vif du sujet : de quoi parle donc cette légende retrouvée ? Un petit résumé (sans spoil majeur) s’impose :

Résumé : Le roi Marc tue son frère par traîtrise. La veuve de ce dernier, Angledis, s’enfuit avec leur fils Alexandre, et se réfugie dans un de ses domaines. A ses quinze ans, Alexandre apprend les circonstances de la mort de son père, et demande l’adoubement afin de le venger. Une fois fait chevalier, Alexandre multiplie les quêtes : il affronte plusieurs chevaliers de la Table Ronde, comme Palamède et Saphar, deux chevaliers sarrasins convertis au catholicisme, ou encore Mordred, le neveu (ou fils illégitime, selon les versions) d’Arthur. Il croisera aussi la route de la fée Morgane et de plusieurs de ses acolytes, et découvrira bien évidemment l’amour avec plusieurs demoiselles.

Critique : version courte

Il s’agit d’une critique sans spoil majeur, que vous pouvez donc lire si jamais la lecture du roman vous intéresse. A l’inverse, la version détaillée s’appuiera sur des épisodes bien précis, et sera donc susceptible de divulguer des éléments importants du récit. A vos risques et périls.

J’ai nettement préféré Alexandre à Ségurant (dont je ferai également la critique). On y retrouve l’esprit arthurien, et surtout les thématiques de l’amour, complètement absentes dans Ségurant. L’amour et les femmes ont en effet une place prépondérante dans Alexandre, puisque ces dernières mènent toute l’intrigue, particulièrement les magiciennes comme Morgane, bien connue des amateurs du cycle arthurien.

En outre, on y retrouve quelques éléments du comique médiéval, typiques des farces ou des fabliaux (plus de détails dans la version longue), et le style répétitif hérité de la tradition orale médiévale, comme des « Que dire ? », « Que vous dire de plus ? » dans presque chaque paragraphe. Ce style « oyez oyez, bonnes gens » rebuterait peut-être certains lecteurs contemporains, habitués à moins de redites, et surtout à un « quatrième mur ». Si cela peut surprendre au début, une fois qu’on s’y habitue, on n’y prête même plus attention. Les grands amateurs d’épopées antiques ne seront peut-être pas autant dépaysés, car le style épique est souvent aussi très répétitif, même si on a moins l’impression d’être sur la place du marché quand on lit l’Odyssée ou Gilgamesh. D’aucuns trouveront peut-être le texte un peu lourdingue à cause de cela, mais si on souhaite un peu de diversité dans ses lectures, on ne peut qu’apprécier ce changement.

N’oublions pas non plus la qualité de l’édition : comme Ségurant, Alexandre a été reconstitué en incluant les enluminures des manuscrits originaux. En outre, Emanuele Arioli a aussi inclus dans son édition les réécritures (débuts et fins alternatifs) et continuations (suites écrites par d’autres personnes), comme il l’avait fait pour Ségurant. Et cerise sur le gâteau, les lecteurs ne connaissant rien au vocabulaire médiéval ni à la légende arthurienne ne seront pas perdus, puisque la présente édition comporte également un glossaire (« lice » ou « haubert », par exemple), ainsi qu’une liste des personnages et lieux mentionnés dans le récit.

En résumé, malgré le choix délibéré du chercheur de garder dans sa reconstitution le style oral de l’ancien français, le livre reste tout de même très accessible à un novice. Ce n’est pas le récit arthurien le plus palpitant, mais si vous souhaitez vous lancer dans la littérature médiévale sans trop vous y connaître, Alexandre est parfait.

exemple d’enluminure

Critique détaillée

Je ne vais pas beaucoup m’étaler cette fois, étant donné que j’ai déjà presque tout dit dans la version courte. Je voudrais juste donner quelques précisions concernant les éléments comiques, et parfois grotesques, que l’on peut trouver dans Alexandre. En effet, Alexandre reprend plusieurs topoi des farces et des fabliaux, tels que les femmes en armure de chevalier, la nudité, ou encore les blagues sur le sexe. Ségurant mêlait déjà quelques éléments comiques au souffle arthurien, mais l’humour reposait surtout sur l’appétit d’ogre de Ségurant. Dans Alexandre, le comique repose surtout sur les femmes : le chapitre de la réunion des fées à Avalon est particulièrement grotesque, puisque la Dame d’Avalon propose une sorte de concours d’enchantements, tout en sachant déjà qu’elle est la plus puissante d’entre toutes. Les autres enchanteresses, comme Morgane et Sibylle, sont humiliées devant toute l’assemblée puisque la Dame d’Avalon défait facilement leurs sorts, avant de faire disparaître leurs vêtements. Celles-ci finissent donc entièrement nues, et ne peuvent plus cacher les marques de vieillesse qui trahissent leur âge. Suite à cela, la dame d’Avalon décide de révéler à toutes son sort le plus puissant : la capacité de créer des flammes avec son entrejambe. Oui, c’est grotesque, d’autant plus qu’elle précise que c’est Merlin qui lui a appris ce sortilège.

Pour ceux qui voient Merlin comme un gentil papi à barbe blanche, je vous préviens, vous êtes très loin du portrait original…

Nous ne pouvons que nous demander si Merlin lui-même est capable de lancer ce sort. Vicieux, Merlin ? Assurément. Comme vous le savez peut-être, il est le fils d’un diable et d’une vierge, et, dans les textes médiévaux, il est aussi connu pour sa lubricité et son penchant pour les belles jeunes femmes. Toutes les fées de ce chapitre ont été les élèves de Merlin, et toutes ont été contraintes de céder à ses avances. Seule la Dame du Lac, Viviane, a pu bénéficier de ses enseignements sans payer le prix fort. Dame du Lac qui, d’ailleurs, ne s’est pas présentée à la réunion.

Cet épisode n’a aucune incidence sur le reste de l’intrigue. A la fin du chapitre, Morgane et les autres partent en quête de Merlin, disparaissant du récit.

Et la fin ? Il n’y en a pas vraiment. Alexandre, retenu prisonnier par Morgane, qui voulait en faire son amant, est délivré par une demoiselle, qui lui offre sa virginité. Après cela, Alexandre rencontre Aëlis la Belle Pélerine, cousine de sa libératrice, et en tombe amoureux. Après avoir affronté plusieurs chevaliers de la Table Ronde (Mordred, Dodinel, Sagremor, et surtout Lancelot), Alexandre demande à Lancelot de le marier avec Aëlis, et vit avec elle dans son pavillon. Dans l’épilogue, Alexandre affronte Hélias le Roux, mais meurt à la suite d’une grave blessure. Lorsqu’Aëlis l’apprend, elle en meurt de chagrin. La fin alternative de Thomas Malory est encore plus cruelle, puisqu’Alexandre y est tué par… son pire ennemi, le roi Marc.

Qu’importe la fin, la légende d’Orphelin, malgré quelques traits d’humour, demeure tragique, puisque c’est l’histoire d’une vengeance impossible. Alexandre a beau compter parmi les guerriers, jamais il n’accomplira sa quête. Cette fin pessimiste, terriblement réaliste, tranche net avec la plupart des romans arthuriens basés sur un personnage. Mais cette légende a, après tout, été écrite vraisemblablement un siècle après la fin du cycle arthurien (narrée dans La mort du roi Arthur, roman du XIIIe siècle).

Automne ensorcelant

Brr, le retour du froid…

Je n’avais jamais beaucoup aimé l’automne. Pour moi, l’automne symbolise le retour du froid, de la pluie et de la grisaille. Le retour de la mort, aussi : les feuilles tombent, dénudant outrageusement les arbres. Ces feuilles sont aussi vicieuses que les roses du renouveau : leurs attirantes couleurs chaudes ne sont qu’un leurre pour nous nuire. De même que les roses nous griffent les doigts pour se repaître de notre sang, les feuilles mortes encombrent les jardins et nous incitent à les ramasser. Alors on courbe l’échine, on glisse, on se retrouve par terre.

La dépression saisonnière nous guette, les écharpes nous étranglent. L’automne cupide nous vole : quelques billets pour un peu plus de jour, quelques billets encore pour un peu d’été.

L’automne est morose, des larmes coulent continuellement sur ses joues, faisant friser même le cheveu le plus lisse. Et même lorsqu’il est joyeux, son sourire reste timide.

Pourtant, cet automne me paraît spécial : pas tout à fait comme les autres, mais toujours empreint de cette familière odeur de petrichor. Est-ce l’âge, ou bien l’accoutumance ? Tout à coup, l’automne se drape d’un plaid chaleureux. Avec le feu dans l’âtre, l’ambiance devient cosy. C’est l’odeur du lait chaud et les débuts de feux de cheminée. Comment ai-je pu ne pas le remarquer avant ?

L’automne, c’est aussi la disparition des couleurs froides, troquées par les couleurs chaudes. La pluie se confond chaque jour un peu plus avec la rosée. Les enfants ramassent des marrons en riant et salissent leurs poches.

L’automne, c’est aussi l’odeur de la citrouille, la brume mystérieuse avant et après la nuit, le sabbat des sorcières. C’est la résurrection du païen et de Jack O’ Lantern, deux fois rejeté du monde des morts.

L’automne, c’est le froid et la mort, oui, avec tous ces chrysanthèmes qui fleurissent les cimetières. Mais c’est aussi la connexion avec l’Autre monde, le culte aux ancêtres, le commerce entre les vivants et les morts rendu possible.

L’automne, c’est le brouillard entre la mort et la vie. C’est ce lien ténu qui s’épaissit tout à coup.

Genèse

Je suis tombée un jour sur l’appel à textes d’une petite maison d’édition spécialisée dans le fantastique. L’éditeur recherchait des nouvelles sur le thème « Automne ensorcelant ». Malheureusement, je n’ai vu l’annonce qu’un an plus tard. Je n’ai donc pas pu envoyer de nouvelle, mais le thème m’a beaucoup plu, et je l’ai trouvé très inspirant. De plus, il m’a permis de me réconcilier (un peu) avec l’automne, saison que je déteste pour les raisons évoquées ci-dessus. Je me suis rendu compte en écrivant ce texte que l’automne avait tout de même quelques positifs, et, surtout, qu’il baigne dans une atmosphère bien spécifique à lui.

J’espère avoir réussi à transmettre cette prise de conscience dans ce texte. N’oubliez pas, l’automne n’est que l’antichambre de l’hiver (oui, il fait encore plus froid en hiver, mais au moins, on a parfois de la neige, et aussi les fêtes de fin d’année).

Bon, il faut avouer que l’automne nous offre quand même quelques spectacles magnifiques.

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Présentation : qui suis-je ?

Tout d’abord, bonjour (ou bonsoir) à toutes et à tous.

Avant toute chose, une petite présentation s’impose. Rassurez-vous, je ne vais pas écrire une longue présentation à coup de « moi je », « moi, je ». En vérité, je me présente surtout par respect pour les conventions sociales et la nétiquette, car je n’aime pas beaucoup parler de ma vie personnelle. Oui.

(Très) courte présentation

Je m’appelle Marie, j’ai 27 ans. L’avantage, c’est que je n’ai pas besoin de pseudo pour conserver mon anonymat. Je pourrais très bien être votre voisine ou votre ancienne camarade de classe en CM2. Ce n’est pas un prénom très original, disons-le. Tout le monde a au moins une Marie dans son entourage.

En revanche, si j’étais Josette, 19 ans, j’en aurais peut-être pris un, de pseudo.

Pourquoi ai-je choisi de lancer ce blog ?

A vrai dire, je ne sais pas trop moi-même. J’aime beaucoup écrire, j’aime aussi beaucoup la lecture et les loisirs créatifs (surtout les travaux d’aiguille). D’ailleurs, à l’occasion, je compte ouvrir ma propre boutique sur Etsy, mais c’est une autre histoire.

J’ai donc décidé de faire ce que j’aime : rédiger. Vous trouverez donc ici des critiques de livres (que j’aime, dans un premier temps), des recommandations que je partagerai aussi sur Babelio et autres sites dédiés à la critique littéraire. Je compte aussi partager quelques textes et poèmes que j’ai écrits moi-même, mes projets d’écriture personnels. Ayant beaucoup étudié la littérature médiévale, malheureusement encore trop peu connue du grand public, je souhaiterais aussi profiter de ce blog pour faire mieux connaître ce pan entier de notre histoire littéraire. Après tout, à part Chrétien de Troyes, la légende arthurienne, et Tristan et Iseut, la littérature médiévale reste un mystère pour la plupart des gens, ce qui est dommage tant elle regorge de pépites.

Bref, je vais écrire, et ensuite, que sera sera (ou advienne que pourra, j’aime bien les deux expressions).

Sur ce, salutations, et à bientôt. 

Marie